Cet essai fut à l’origine publié en anglais dans le journal The Objectivist Newsletter en 1965, nous le republions pour son intérêt historique mais aussi car certaines parties sont toujours criantes d’actualité aujourd’hui.
Le nouveau fascime sera celui du culte du consensus et du tout-État. Ce sera une guerre civile institutionnelle entre lobbies pour s’emparer de la machine législative, et extorquer des privilèges aux dépens des autres via l’Etat.
— Le nouveau fascisme: le règne du consensus, 1965, Ayn Rand
Je vais commencer par faire quelque chose de très impopulaire et qui ne cadre pas avec les modes intellectuelles du jour et qui va, par ce fait même, « à l’encontre du consensus » : je vais commencer par définir mes termes, de façon à ce que vous sachiez de quoi je suis en train de parler.
Permettez-moi de vous donner les définitions du dictionnaire pour trois termes de la politique : le socialisme, le fascisme et l’étatisme.
● Socialisme : théorie ou système d’organisation sociale qui prône l’attribution de la propriété et de la maîtrise des moyens de production, le capital la terre, etc. à la communauté dans son ensemble ● Fascisme : système étatique où le pouvoir est fortement centralisé, ne permettant aucune opposition ni critique, qui contrôle toutes les affaires d’un pays (industrielles, commerciales, etc)… ● Etatisme : principe et politique pour une vaste concentration du pouvoir sur l’économie, la politique et autres entre les mains de l’Etat aux dépens de la liberté personnelle.
Il est évident que l’étatisme est le terme le plus large, le terme générique dont les deux autres sont des variantes spécifiques. Il est aussi évident que l’étatisme est la tendance politique dominante de notre époque. Mais laquelle de ces deux variantes représente la direction spécifique de cette tendance-là ?
Observez que le fascisme et le socialisme mettent en cause l’un et l’autre la question des droits de propriété. Le droit de propriété est le droit d’utiliser et d’aliéner. Observez la différence entre ces deux théories :
● le socialisme nie entièrement les droits de propriété, et prône l’attribution "de la propriété et de la maîtrise" à "la communauté dans son ensemble" c’est-à-dire à l’Etat ; ● le fascisme laisse la propriété aux mains des particuliers, mais en transfère le contrôle aux hommes de l’Etat. La possession sans la maîtrise est une contradiction dans les termes : cela veut dire "propriété" sans le droit de s’en servir ni de s’en défaire. Cela veut dire que les citoyens conservent la responsabilité de détenir cette propriété, sans aucun de ses avantages, alors que les hommes de l’Etat acquièrent tous les avantages sans rien de la responsabilité.
A cet égard, le socialisme est la plus franche des deux théories. Je dis « plus franche » et non « meilleure » parce que, dans la pratique, il n’y a aucune différence entre eux : les deux sont issues du même principe collectiviste-étatiste, les deux nient les Droits personnels et subordonnent l’individuel au collectif, les deux livrent les moyens d’existence et la vie même du citoyen à un Etat omnipotent — et les différences entre eux ne sont qu’une question de temps, de degré, et de détail superficiel, comme le choix des slogans au moyen desquels les maîtres font illusion à leurs sujets réduits en esclavage.
Vers laquelle de ces deux variantes nous dirigeons-nous maintenant : le socialisme ou le fascisme ?
Pour répondre cette question il nous faut d’abord demander : quel est la tendance idéologique dominante de la culture actuelle ? La réponse, terrible et détestable, est qu’il n’y a pas de tendance idéologique aujourd’hui. Il n’y a pas d’idéologie. Il n’y a pas de principes politiques, pas de théories, pas d’idéaux ni de philosophe. Il n’existe aucune direction, aucun but, aucune boussole, aucune vision de l’avenir, aucun élément de direction intellectuelle. Y a-t-il des facteurs émotifs qui dominent la culture contemporaine ? Oui, un. La peur.
Un pays sans philosophie politique est comme un navire qui dérive au hasard au milieu de l’océan, à la merci de n’importe quel vent, vague ou courant de rencontre, un navire dont les passagers se blottissent dans leurs cabines et crient : « ne faites pas tanguer le bateau » — de peur de découvrir que la passerelle du capitaine est vide.
Il est évident qu’un bateau qui ne supporte pas de tanguer est déjà condamné et qu’il vaudrait mieux le faire bouger sérieusement si on doit le remettre en course — mais comprendre cela présuppose une appréhension des faits, de la réalité, des principes, ainsi qu’une vision à long terme, toutes choses précisément que les « adversaires du tangage » s’efforcent frénétiquement de ne pas envisager.
Exactement comme un névrosé s’imagine que les faits de la réalité vont s’évanouir s’il refuse de les reconnaître, la névrose d’une culture entière conduit les gens à croire que le besoin désespéré de principes et de concepts politiques qui est le leur disparaîtra s’ils parviennent à oblitérer tout principe et tout concept. Mais comme, en réalité, aucun individu et aucune nation ne peuvent exister sans une forme ou une autre d’idéologie, cette sorte d’anti-idéologie est désormais l’idéologie formelle, explicite et dominante de notre culture.
Cette anti-idéologie a un nouveau nom et il est fort laid : on l’appelle gouverner par le consensus.
Si quelque démagogue venait à nous présenter, en guise de credo directeur, les postulats suivants :
que les statistiques doivent remplacer la vérité,
le décompte des voix remplacer les principes,
les nombres remplacer les Droits,
et les sondages d’opinion la morale
— que l’opportunité pragmatique à court terme doit être le critère de l’intérêt d’un pays, et que le nombre de ceux qui y croient sera le critère de la véracité ou de la fausseté d’une idée,
que tout désir, quelle que soit sa nature, doit être reconnu comme une créance acceptable, pourvu qu’il soit exprimé par un nombre suffisant de gens
— qu’une majorité a le droit de faire ce qui lui plaît à la minorité
— si un démagogue venait proposer cela, il n’irait pas très loin. Or, tout cela, c’est ce qu’implique la notion de gouvernement par le consensus — laquelle, en même temps, le camoufle.
Cette idée-là, on cherche aujourd’hui à nous la vendre, non pas comme une idéologie, mais comme une anti-idéologie ; non pas comme un principe, mais comme moyen d’oblitérer les principes ; non pas comme de la raison, mais comme de la rationalisation, comme un rituel verbal ou une formule magique pour calmer la névrose d’angoisse nationale — sorte de remontant ou de barbiturique pour les « adversaires du tangage », et une occasion pour les autres de jouer à tous les coups sont permis.
C’est uniquement le mépris léthargique de notre peuple pour les déclarations de nos dirigeants politiques et intellectuels qui rend les gens aveugles au sens réel, aux implications, et aux conséquences de la notion de gouvernement par le consensus. Vous les avez tous entendues, et je soupçonne que vous les avez balayées comme les paroles verbales d’un politicien, sans accorder une pensée à leur sens véritable. Cependant, c’est justement cela que je vous conjure d’examiner.
Un indice révélateur de ce que cela veut dire, un article de Tom Wicker dans le New York Times (du 11 octobre 1964) nous le fournit. Se référant à « ce que Nelson Rockefeller appelait le courant dominant de notre pensée politique », M. Wicker écrit :
"Ce courant dominant est ce que les théoriciens de la politique projettent depuis des années comme "le consensus national’ — ce que Walter Lippmann a justement appelé ‘le centre vital.’ "… c’est presque par définition que la modération en politique est au cœur du consensus. C’est-à-dire que le consensus s’étend généralement sur l’ensemble des opinions politiques acceptables — toutes les idées qui ne répugnent pas totalement à un segment important de la population ou ne la menacent pas directement. Par conséquent, les idées acceptables doivent prendre en compte les opinions des autres et c’est cela que l’on entend par modération"
Maintenant, mettons le doigt sur ce que cela veut dire.
« Le consensus s’étend généralement sur l’ensemble des opinions politiques acceptables… »
acceptables… pour qui ? — Pour le consensus. Et comme c’est par le consensus quil faut gouverner l’Etat, cela veut dire que les opinions politiques doivent être divisées entre celles qui sont « acceptables » et celles qui sont « inacceptables » pour le gouvernement. Quel serait le critère de l’ »acceptabilité » ? M. Wicker le fournit. Observez que le critère n’est pas intellectuel, pas une question de savoir si certaines opinions sont vraies ou fausses :
– le critère n’est pas moral, il ne s’agit pas de savoir si elles sont bonnes ou mauvaises ;
– le critère est émotif : c’est-à-dire si ces opinions répugnent ou non. Répugnent qui ? Quelque « segment important de la population ». Il y a aussi la clause supplémentaire que ces opinions-là ne doivent pas « directement menacer » ce segment important.
Et les segments plus petits alors ? Les opinions qui les menacent sont-elles acceptables ? Quid du plus petit segment de tous, l’individu ? A l’évidence, ni les personnes ni les groupes minoritaires ne sont à considérer ; peu importe à quel point une idée répugne un individu et la gravité de la menace qu’elle représente pour sa vie, son travail, son avenir ; il faut faire comme s’il n’existait pas et le sacrifier à l’omnipotent consensus et à son gouvernement
— à moins qu’il n’ait une bande à lui, une bande assez grosse, pour le défendre.
Qu’est-ce exactement qu’une « menace directe » pour une partie de la population ?
Dans une économie mixte, tout acte des hommes de l’Etat est une menace directe pour certains et une menace indirecte pour tous. Toute ingérence des hommes de l’Etat dans l’économie consiste à distribuer un avantage non gagné, extorqué par la force, à certaines personnes aux dépens des autres.
D’après quel critère de justice un gouvernement du consensus doit-il se déterminer ? Par la taille de la bande dont la victime fait partie.
Maintenant, notez la dernière phrase de M. Wicker :
"Par conséquent, les idées acceptables doivent prendre en compte l’opinion des autres et c’est cela que l’on entend par modération".
Et qu’est-ce donc au juste qu’on entend là par « l’opinion des autres » ? De quels autres ? Comme ce ne sont pas celles des individus ni des groupes minoritaires, la seule signification discernable est que tout « segment important » doit prendre en compte l’opinion de tous les autres « segments importants ». Mais supposons qu’un groupe de socialistes veuille nationaliser l’ensemble des usines, et qu’un groupe d’industriels souhaite conserver sa propriété ? Qu’est-ce que cela voudrait dire, pour l’un quelconque de ces groupes, de « prendre en compte » les opinions d’autrui ? Qu’est-ce qui constituerait de la « modération » dans un conflit entre des hommes qui veulent être entretenus aux dépens du public et un groupe de contribuables qui a mieux à faire de son argent ?
Qu’est-ce qui constituerait de la « modération » dans un conflit entre le membre d’un groupe plus petit, comme un noir du sud, qui pense qu’il a le droit inaliénable d’être jugé impartialement, et le groupe plus important de racistes du Sud qui pensent que « l’intérêt général » de leur communauté leur permet de le lyncher ? Et en quoi consisterait la « modération » dans un conflit entre moi-même et un communiste (ou entre nos partisans respectifs), alors que je pense que j’ai un droit inaliénable sur ma vie, ma liberté et mon bonheur — tandis que ses conceptions à lui sont que « l’intérêt général » de l’Etat l’autorise à me voler, à me réduire en esclavage et à m’assassiner ? Il ne peut pas exister de point de rencontre de moyen terme, de compromis entre des principes opposés.
Il ne peut pas exister de « modération » dans le domaine de la raison et de la morale. Mais la raison et la morale sont précisément les deux concepts abrogés par la notion de gouvernement par le consensus.
Les partisans de cette notion déclareraient à cet endroit que toute idée qui ne permet pas de compromis constitue de « l’extrémisme » — et que toute forme « d’extrémisme », toute position sans compromis, est mauvaise — que le consensus ne « s’étend » que sur les idées qui se prêtent à la « modération » — et que la « modération » est la vertu suprême, qui l’emporte sur la raison et sur la morale.
Voilà l’indice qui mène au cœur, à l’essence, au mobile, et au véritable sens de la doctrine du gouvernement par le consensus : le culte du compromis. Le compromis est la condition préalable, la nécessité, l’impératif d’une économie mixte. La doctrine du « consensus » est une tentative pour traduire en idéologie — ou en anti-idéologie — les réalités brutales de l’interventionnisme d’Etat, afin de leur fournir une apparence de justification.
Une économie mixte est une mixture de liberté et de coercition — dépourvu de principe, de règles ou de théories pour délimiter l’une ou l’autre. Comme l’imposition des contraintes en entraîne d’autres qu’elle rend nécessaires, c’est une mixture instable, explosive qui doit nécessairement finir par l’abolition des ingérences ou par la dictature totalitaire.
Une économie mixte n’a aucun principe pour définir ses politiques, ses objectifs, ses lois — aucun principe pour limiter le pouvoir de son gouvernement. Le seul principe d’une économie mixte — principe qui, par nécessité doit demeurer innomé et occulté — est qu’aucun intérêt personnel n’est à l’abri, que les intérêts de tous sont à la merci de la surenchère publique, et que tous les coups sont permis pour ceux qui peuvent le faire impunément.
Un tel système — ou, plus précisément, un tel anti-système — éparpille une nation en une multitude toujours croissante de camps ennemis, de groupes économiques luttant les uns contre les autres pour leur survie dans un mélange indéterminé de défense et d’agression, tel que l’exige la nature d’une jungle pareille.
Alors que, politiquement, une économie mixte conserve l’apparence d’une société organisée avec un semblant de droit et d’ordre, économiquement elle est l’équivalent de la confusion qui a dominé la Chine pendant des siècles : un chaos de bandes de pillards qui dépouillent — et qui saignent— les éléments productifs de la nation.
Une économie mixte est le règne des groupes de pression. C’est une guerre civile institutionnelle et amorale entre lobbies et intérêts sectoriels, qui tous se battent pour s’emparer quelque temps de la machine législative, pour extorquer quelque privilège particulier aux dépens de quelqu’un d’autre au moyen d’une intervention de l’Etat — c’est-à-dire par la force.
En l’absence de droits personnels, en l’absence de tout principe moral ou juridique, le seul espoir qu’a une économie mixte de préserver sa ressemblance précaire avec un ordre social, de tenir en laisse les groupes de sauvages désespérément rapaces que lui même a créés et d’empêcher la spoliation légalisée de dégénérer en un pur et simple pillage de tous par tous en-dehors de la loi — est le compromis : compromis sur tout et dans tous les domaines, matériel, intellectuel et spirituel ; pour que personne ne franchisse la ligne en exigeant trop, faisant s’effondrer toute la structure pourrie. Si le jeu doit continuer, rien ne peut être autorisé à demeurer ferme, solide, absolu, incorruptible ; absolument tout (et tout le monde) doit être fluide, approximatif, flexible, indéterminé, approximatif.
Quel est le critère qui doit guider les actes de tout le monde ? L’opportunité de l’instant immédiat.
Le seul danger pour une économie mixte est toute valeur, vertu ou idée avec laquelle on ne fait pas de compromis. La seule menace est toute personne, tout groupe, tout mouvement qui ne cède pas sur ses principes. Le seul ennemi, c’est l’intégrité.
Nul besoin de faire remarquer qui sera toujours gagnant et toujours perdant dans un jeu de ce type.
Il n’est pas plus difficile de voir de quelle espèce d’unité (ou de consensus) ce jeu-là a besoin : l’union dans l’accord tacite comme quoi tout est permis, tout est à vendre (ou « négociable ») et le reste est livré à la foire d’empoigne des pressions, du lobbying, des manipulations, des renvois d’ascenseur, de la « communication », du donnant-donnant, de la fourberie, de la mendicité, de la corruption, de la trahison — et du hasard, le hasard aveugle d’une guerre où le trophée consiste à pouvoir employer la force armée de la loi contre des victimes légalement désarmées.
Observez que ce type-là de trophée établit un intérêt unique que tous les participants ont en commun : le désir d’avoir un Etat fort — un Etat dont le pouvoir ne soit pas limité, assez fort pour permettre aux gagnants et à ceux qui voudraient l’être d’emporter ce qu’ils voulaient prendre ; un Etat qui ne soit lié par aucune politique, contraint par aucune idéologie, un Etat qui accapare toujours plus de pouvoir, un pouvoir pour le pouvoir, ce qui veut dire : un pouvoir pour le compte, au service de toute bande « importante » qui pourrait s’en emparer momentanément pour forcer sa législation particulière dans le gosier du pays.
Observez, par conséquent, que la doctrine du « compromis » et de la « modération » s’applique absolument à tout sauf à un sujet particulier : toute idée de réduire le pouvoir des hommes de l’Etat.
Observez les torrents de boue, d’insultes, et de haine hystérique déchaînés par les « modérés » contre tout partisan de la liberté, c’est-à-dire du capitalisme.
Notez que des gens se servent sérieusement, quand ce n’est pas avec arrogance, d’appellations comme « centrisme radical » ou « militantisme centriste ». Observez l’intensité étrange de la haine dans cette campagne de diffamation contre le Sénateur . Elle avait des accents de panique : la panique des « modérés », du « centre de gouvernement », des partisans de la « voie moyenne » face à l’idée qu’un mouvement vraiment favorable au capitalisme puisse mettre un terme à leur petit jeu. Mouvement qui, soit dit en passant, n’existe pas encore, le sénateur Goldwater n’étant pas un partisan de la liberté naturelle et sa campagne dépourvue de sens, de philosophie, de structure intellectuelle n’ayant contribué qu’à consolider la position des avocats du consensus. Mais ce qui est significatif est la nature de leur panique : elle nous a donné un aperçu de leur « modération » tant vantée, de leur respect « démocratique » pour les choix de la population et de leur tolérance face au désaccord et à l’opposition.
Dans une lettre au New York Times du 23 juin 1964, un maître-assistant en science politique, craignant la nomination de Goldwater, écrivait ce qui suit :
"Le vrai danger réside dans la campagne de division que sa nomination provoquerait… le résultat d’une candidature Goldwater serait un électorat divisé et aigri. Pour être efficace, le gouvernement des Etats-Unis exige un haut degré de consensus et d’esprit bipartisan sur les questions fondamentales."
Quand et par qui l’étatisme a-t-il été accepté comme le principe fondamental des Etats Unis — et comme un principe que, désormais, on devrait mettre au-dessus de tout débat et de toute dissension, de sorte que les questions fondamentales ne soient plus jamais posées ? N’est-ce pas là la formule d’un gouvernement de parti unique ? Le digne professeur ne le précise pas.
Un autre épistolier du New York Times (24 juin 1964), identifié par le journal comme « social démocrate », est allé un peu plus loin:
"Qu’en novembre le peuple américain choisisse. S’il fait un large choix en faveur de Lyndon Johnson et des Démocrates, alors une fois pour toutes l’Etat fédéral pourra aller de l’avant, sans avoir à trouver des prétextes, dans le travail que des millions de noirs, de chômeurs, de malades et autres handicapés s’attendent à le voir faire — pour ne rien dire de nos engagements à l’étranger. "Si le peuple choisit Goldwater, alors il semblera que le pays ne valait pas la peine qu’on le sauve après tout. "Woodrow Wilson a dit un jour qu’on peut avoir trop d’orgueil pour se battre ; puis il nous a fallu entrer en guerre. Une fois pour toutes réglons cette question, tant qu’on peut encore se battre à coups de bulletins de vote et non avec des balles".
Ce Monsieur veut-il dire que si nous ne votons pas comme il veut, il va se servir de balles ? Je n’en sais pas plus que vous. Le New York Times, qui était un promoteur voyant du gouvernement par le consensus, a dit des choses curieuses dans son commentaire sur la victoire du Président Johnson. Son éditorial du 8 novembre 1964 affirmait :
"Peu importe l’ampleur massive — bien connue — de sa victoire électorale, le gouvernement ne peut pas se contenter de surfer sur la vague populaire qui roule sur un océan de platitudes, de généralités et de promesses euphoriques… "maintenant qu’il dispose d’un vaste mandat populaire, il a l’obligation morale aussi bien que politique de ne pas faire plaisir à tout le monde mais de se résoudre à un programme d’action qui soit fort, concret et déterminé."
Quel type d’action déterminée ? Si on n’a présenté à l’électeur que des « platitudes, des généralités et des promesses euphoriques », comment peut-on interpréter ce vote comme un « vaste mandat populaire ? » Un mandat pour faire ce que personne n’a nommé ? Un chèque en blanc politique ? Et si M. Johnson a bel et bien remporté une victoire massive en s’efforçant « de plaire à tout le monde », alors qu’est-ce donc qu’on espère de lui, quels sont les électeurs qu’il devra décevoir ou trahir — et que devient le vaste consensus populaire ?
Moralement et philosophiquement, cet éditorial est éminemment suspect et contradictoire ; mais il devient clair et cohérent dans le contexte de l’anti-idéologie de l’interventionnisme d’Etat. Dans une économie mixte, on n’attend pas du Président qu’il ait un programme ou une politique particulière. Un chèque en blanc sur le pouvoir est tout ce qu’il demande aux électeurs. Par la suite, la parole est au jeu des groupes de pression, jeu que tout le monde est censé comprendre et approuver, mais sans jamais le mentionner. A qui il fera plaisir et sur quels points, cela dépend des hasards du jeu — ainsi que des « segments importants de la population ». Son travail est seulement de s’accrocher au pouvoir — et de dispenser les faveurs.
Dans les années 1930, les sociaux-démocrates avaient un vaste programme de réformes sociales et un esprit de croisade. Ils prônaient une société planifiée. Ils proposaient des théories essentiellement socialistes… et la plupart d’entre eux se récriaient face à l’accusation de prétendre accroître le pouvoir des hommes de l’Etat ; la plupart d’entre eux assuraient à leurs adversaires que le pouvoir d’Etat n’était qu’un moyen temporaire pour réaliser un but — un noble but », libérer l’homme de sa sujétion aux besoins matériels.
Aujourd’hui, dans le camp social-démocrate, plus personne ne parle de société planifiée ; les programmes à long terme, les théories, les principes, les abstractions, et les « nobles objectifs » ne sont plus à la mode. Les sociaux- démocrates modernes se moquent de quiconque se soucie de questions aussi vastes qu’une société ou une économie. Ils se préoccupent de projets et d’exigences singulières, à court terme, au ras des pâquerettes, sans s’occuper du coût, du contexte ni des conséquences. Le « pragmatisme », et non « l’idéalisme » est leur adjectif favori quand on leur demande de justifier leur « position », comme on dit, et non plus leur « opinion ». Ils affichent une hostilité militante envers la philosophie politique ; ils rejettent ses concepts comme autant « d’étiquettes », de « marques », de « mythes », « d’illusions » et s’interdisent toute velléité « d’étiqueter » — c’est-à-dire d’identifier — leurs conceptions à eux. Ils font la guerre à tout système et — leur manteau passé d’intellectuels toujours accroché sur leurs épaules — ils s’affichent contre la pensée. Le seul vestige de leur ancien « idéalisme » est la manière cynique, rituelle, dont ils citent des slogans « humanitaires » d’un air fatigué, lorsque l’occasion l’exige.
Le cynisme, l’incertitude et la peur sont les marques distinctives d’une culture qu’ils continuent de dominer par défaut. Et la seule chose qui n’ait pas rouillé dans leur équipement idéologique, mais s’est développé sauvagement et avec toujours plus d’éclat au cours des années, c’est leur désir du pouvoir — pour un pouvoir d’Etat autocratique, étatiste et totalitaire. Ce n’est pas la clarté d’une croisade, ce n’est pas la fièvre d’un fanatique qui a une mission à remplir — c’est davantage comme la lueur vitreuse dans les yeux d’un somnambule, avec un désespoir stupide qui a depuis longtemps avalé le souvenir de son projet, mais qui s’accroche encore à son arme cabalistique, dans la conviction obstinée « qu’il faut faire une loi », que tout va s’arranger si seulement quelqu’un veut bien faire passer une loi, que tous les problèmes peuvent se résoudre par le pouvoir magique de la force brutale.
Tels sont l’état présent de la pensée et la tendance visible de notre culture. Maintenant, je vous demande d’examiner la question que j’avais posée au début de cette discussion : vers laquelle de ces deux variantes de l’étatisme nous dirigeons-nous : le socialisme ou le fascisme ?
Permettez-moi de vous soumettre, comme début de réponse, cet élément de preuve qu’est la citation d’un éditorial qui est paru dans le Washington Star d’octobre 1964. C’est un mélange éloquent de vérité et de fausse information, et un exemple typique de l’Etat actuel de la connaissance politique :
"Le socialisme est tout simplement la propriété étatique des moyens de production. Cela, aucun candidat à la Présidence d’un grand parti ne l’a jamais proposé, et ce n’est pas ce que Lyndon Johnson propose aujourd’hui. (Exact.) "Il existe cependant aux Etats-Unis tout un ensemble de lois qui soit accroissent la réglementation étatique des affaires privées soit la responsabilité de l’Etat pour le bien-être individuel. (Exact.)
C’est à cette législation que les cris d’alarme contre le « socialisme » font allusion.
"A côté de la clause constitutionnelle prévoyant la réglementation fédérale du commerce inter-états, ce type d’"intrusion" sur le marché commence avec les lois antitrust. (Très vrai.) C’est à elles que nous devons l’existence maintenue du capitalisme concurrentiel et le fait que le capitalisme de cartels n’est pas advenu. (Faux.) Dans la mesure où le socialisme est d’une manière ou d’une autre le produit du capitalisme de cartels (faux), on peut dire raisonnablement que cette ingérence-là de l’Etat dans les affaires a en fait empêché le socialisme. (Pire que faux.) "Quant à la législation sociale, elle est encore à des années-lumière de la sécurité ‘de la naissance à la mort’ prônée par le socialisme contemporain. (Pas tout à fait exact.) Cela ressemble beaucoup plus à un souci humain ordinaire pour la détresse des hommes qu’à un programme idéologique quel qu’il soit." (La deuxième partie de cette phrase est exacte : il ne s’agit pas d’un programme idéologique. En ce qui concerne la première, un souci humain ordinaire pour la détresse des hommes ne se manifeste pas ordinairement sous la forme d’un fusil dirigé vers le portefeuille et le revenu de votre voisin.)
L’éditorial ne mentionnait pas, bien sûr, qu’un système dans lequel les hommes de l’Etat ne nationalisent pas les moyens de production mais acquièrent une maîtrise totale de l’économie s’appelle fascisme. C’est vrai que les sociaux-démocrates ne sont pas des socialistes, qu’ils n’ont jamais prôné ni entrepris la socialisation de la propriété privée, qu’ils voudraient « préserver » la propriété privée — les hommes de l’Etat étant maîtres de son usage et de sa transmission. Mais cela, c’est justement la caractéristique fondamentale du fascisme.
Voici encore une pièce au dossier. Celle-ci est moins grossièrement naïve que la première et beaucoup plus insidieusement erronée. Ceci est extrait d’une lettre au New York Times (1er novembre 1964), écrite par un maître assistant en économie :
"A presque tous les points de vue, les Etats-Unis sont probablement plus adeptes de la libre entreprise que n’importe quel autre pays industriel, et ils ne ressemblent même pas de loin à un système socialiste. A la manière dont on entend le terme chez ceux qui étudient les systèmes économique comparés et chez d’autres qui ne l’emploient pas à la légère, le socialisme s’identifie avec des nationalisations étendues, un secteur public dominant, un fort mouvement coopératif, une redistribution égalitariste des revenus, un Etat-providence absolu et la planification centrale. "Aux Etats-Unis, non seulement il n’y a pas eu de nationalisation, mais des projets d’Etat ont été remis à l’entreprise privée… "La distribution des revenus dans ce pays est l’une des plus inégales des pays développés, les baisses d’impôts et les refuges fiscaux ont émoussé la progressivité modérée de notre structure fiscale. Trente ans après le New Deal, les Etats-Unis ont un Etat-providence très limité, si on le compare à la Sécurité sociale universelle et aux logements sociaux de nombreux pays européens. "Cela défie l’imagination de présenter l’enjeu véritable de cette campagne comme un choix entre le capitalisme et le socialisme. Ou entre une économie libre ou une économie planifiée. La question concerne deux concepts différents du rôle de l’Etat dans le cadre d’un système d’entreprise essentiellement privée."
Dans un système de libre entreprise, le rôle des hommes de l’Etat est celui d’un policier qui protège les droits personnels de l’homme (y compris ses Droits de propriété) en protégeant les gens contre l’emploi de la force physique ; dans une économie libre, les hommes de l’Etat ne contrôlent rien, ne réglementent rien, ne contraignent rien, ne se mêlent en rien des activités productives des gens.
Je ne connais pas les options politiques de l’auteur de cette lettre ; il se peut qu’il soit un social-démocrate, ou un soi-disant défenseur du capitalisme. Mais s’il l’est, alors il me faut faire remarquer que des opinions telles que les siennes — et que partagent nombre « d’hommes de droite » — font plus de mal au capitalisme et le discréditent davantage que celles de ses ennemis déclarés.
Ces « conservateurs » considèrent le capitalisme comme un système compatible avec des interventions de l’Etat, ce qui les conduit à faciliter la propagation des erreurs conceptuelles les plus dangereuses. Alors que le capitalisme pur, le capitalisme de laissez-faire n’a jamais existé nulle part, alors qu’on avait laissé certaines interventions (inutiles) des hommes de l’Etat diluer et saper le système américain originel — bien plus par erreur que par intention théoriquement motivée, ces interventions-là étaient des entraves mineures, et les « économies mixtes » du dix-neuvième siècle étaient essentiellement libres, et c’est cette liberté jamais vue qui a amené un progrès sans précédent pour l’humanité.
Les principes, la théorie, et la pratique effective du capitalisme reposent sur un marché libre c’est-à-dire non réglementé, comme l’histoire des deux derniers siècles l’a amplement démontré. Aucun défenseur du capitalisme ne peut se permettre de méconnaître le sens exact des termes de « laissez-faire » et « d’économie mixte », qui indiquent clairement les deux éléments opposés qui sont en cause dans cette mixture : l’élément de liberté économique, qui est le capitalisme, et celui de l’intervention des hommes de l’Etat, qui est l’étatisme.
Une campagne insistante se poursuit depuis des années pour nous faire accepter l’idée suivant laquelle tous les Etats seraient les instruments des intérêts économiques de classe, le capitalisme n’étant pas une économie libre, mais un système d’ingérences étatiques au service de quelque classe privilégiée.
Le but de cette campagne est de falsifier l’économie politique et de réécrire l’histoire pour oblitérer l’existence et la possibilité d’un pays libre et d’une économie sans intervention de l’Etat. Comme un système de propriété privée nominale gouverné par les interventions de l’Etat n’est pas du capitalisme mais du fascisme, le seul choix que cette oblitération nous laisserait est le choix entre le fascisme et le socialisme (ou le communisme) — ce que tous les étatistes du monde, de toutes les variétés, degrés et dénominations se battent frénétiquement pour nous faire avaler (détruire la liberté est leur objectif commun, après quoi ils comptent se battre entre eux pour le pouvoir).
C’est ainsi que les conceptions de ce professeur et de bien des « hommes de droite » accréditent et renforcent la propagande vicieuse des gauchistes qui identifient le capitalisme avec le fascisme. Mais il y a une forme amère de justice dans la logique des événements. Cette propagande a un effet qui peut bien être avantageux aux communistes, mais qui est à l’opposé de celui recherché par les soi-disant liberaux, les sociaux-démocrates, les socialistes qui partagent la culpabilité de l’avoir propagé : loin de diffamer le capitalisme, c’est le fascisme qu’elle a réussi à dédouaner en le camouflant.
Dans ce pays, il y a peu de gens qui se soucient de prôner, de défendre voire de comprendre le capitalisme ; mais il y en a moins encore qui souhaitent se priver de ses avantages. Alors, si on leur dit que le capitalisme est compatible avec l’intervention de l’Etat, avec les interventions particulières qui vont faire le jeu de leurs intérêts particuliers à eux — qu’il s’agisse de cadeaux de l’Etat, de salaires minimum, de soutiens de prix, de subventions, de lois antitrust ou de censure des films pornos — ils accepteront ces mesures-là, avec la conviction rassurante qu’il n’en résultera rien d’autre qu’un capitalisme « modifié ». Et c’est ainsi que par ignorance, refus de penser, lâcheté morale, et déficience intellectuelle, un pays qui abhorre réellement le fascisme est en train, par d’imperceptibles degrés, de glisser non pas vers le socialisme réel ni vers quelque idéal de sensiblerie altruiste, mais vers une forme ouverte, brutale, prédatrice, avide de pouvoir, de fascisme pratique.
Non, nous n’avons pas atteint ce stade-là. En revanche, il est certain que nous ne sommes plus « pour l’essentiel un système de libre entreprise ». Ce que nous avons aujourd’hui, c’est un système qui se désintègre, malsain, en équilibre précaire d’économie mixte — une salade aléatoire, bâtarde, de combines socialistes, d’influences communistes, d’interventionnisme fascisant, dont un capitalisme croupion et sur la défensive continue d’entretenir plein pot tout l’ensemble, lequel roule en direction de l’Etat fasciste.
Regardez notre gouvernement actuel : je pense qu’on ne m’accusera pas d’injustice si je dis que le Président Johnson n’est pas un penseur porté à la philosophie. Et non, ce n’est pas un fasciste, ni un socialiste et encore moins un partisan du capitalisme. Idéologiquement, il n’est rien du tout en particulier. A en juger par ses exploits passés et par le consensus de ses propres partisans, le concept « d’idéologie » n’est pas applicable en ce qui le concerne. C’est un politicien — phénomène très dangereux, mais parfaitement adapté à notre situation présente. C’est presque un personnage de fiction, l’archétype du parfait dirigeant pour économie mixte : un bonhomme qui aime le pouvoir pour le pouvoir, expert à manipuler les groupes de pression, à les jouer tous les uns contre les autres, qui adore ce processus où l’on dispense les sourires, les froncements de sourcils, et les faveurs, surtout les faveurs inattendues, et dont la vision du monde ne s’étend pas au delà de la prochaine élection.
Ni le Président ni aucun des groupes aujourd’hui dominants n’irait recommander la socialisation de l’économie. Comme ses prédécesseurs modernes à son poste, M. Johnson sait que les industriels sont les vaches à lait de l’interventionnisme, et il ne veut pas du tout les détruire ; il les veut au contraire prospères pour qu’ils nourrissent ses projets de redistribution (dont il a besoin pour son élection prochaine) tandis qu’eux-mêmes, les hommes d’affaires, lui mangent dans la main comme ils semblent avoir tant envie de le faire. Le lobby des affaires est certain d’obtenir sa juste part d’influence et de reconnaissance — exactement comme le lobby des syndicalistes ou le lobby des agriculteurs ou le lobby de tout « segment important » — aux termes que lui-même choisira. Il sera particulièrement doué pour créer et pour promouvoir le type de capitaliste que j’ai décrit comme « l’aristocratie du piston ». Ce n’est pas un modèle socialiste ; c’est celui, typique, du fascisme.
Le sens politique, intellectuel et moral de la politique de M. Johnson vis-à-vis des capitalistes se trouve résumée de manière éloquente dans un article du New York Times du 4 janvier 1965 :
"M. Johnson est un keynésien à 100 % dans ses avances constantes à la communauté des affaires. A la différence du Président Roosevelt, qui se complaisait à attaquer les capitalistes jusqu’à ce que la Seconde Guerre mondiale le contraigne à faire une trêve à contrecœur, et du Président Kennedy, qui avait aussi encouru l’hostilité des hommes d’affaires, le Président Johnson a longtemps et durement œuvré pour amener les entrepreneurs à rejoindre ses rangs dans un consensus national pour ses programmes. "Cette campagne pourra perturber beaucoup de keynésiens, mais c’est du pur Keynes. En fait, Lord Keynes, qui fut longtemps considéré comme un personnage dangereux, machiavélique, par les dirigeants d’entreprise américains, avait fait des propositions précises pour améliorer les relations entre le Président et la communauté des affaires. "Il avait exposé ses conceptions en 1938, dans une lettre au Président Roosevelt, qui se trouvait en butte à de nouvelles critiques de la part des hommes d’affaires à la suite de la récession qui s’était produite l’année précédente. Lord Keynes, qui cherchait toujours à transformer le capitalisme dans le but de le sauver, reconnaissait l’importance de la confiance des hommes d’affaires et tenta de convaincre M. Roosevelt de réparer les dégâts causés. "Il avertissait le Président que les dirigeants d’entreprise n’étaient pas des hommes politiques et ne répondaient pas au même traitement. "Il sont, écrivait-il, ‘beaucoup plus affables que les politiciens, à la fois attirés et terrifiés par l’éclat de la notoriété, faciles à persuader d’être ‘patriotes’, perplexes, obnubilés, en fait terrifiés mais par trop désireux de voir les choses du bon côté, vaniteux peut-être mais très peu sûrs d’eux-mêmes, pathétiquement sensibles à un mot gentil…’ "Il ne doutait pas que M. Roosevelt pût les apprivoiser et leur faire faire ce qu’il voulait, à condition de suivre quelques règles simples à la Keynes: "‘Vous pourriez en faire ce que vous voulez’, continuait la lettre, ‘si vous vouliez les traiter (même les plus gros) non comme des loups ou des tigres, mais comme des animaux domestiques par nature, même s’ils ont été mal élevés et si on ne les a pas dressés comme vous voudriez’ "Le Président Roosevelt n’avait pas tenu compte de cet avis. Ni, apparemment, le Président Kennedy. Mais le Président semble avoir compris le message… avec des mots gentils et des caresses fréquentes sur la tête, il a amené la communauté des hommes d’affaires à lui manger dans la main. "M. Johnson semble être tombé d’accord avec Lord Keynes pour qui il n’y avait pas grand-chose à gagner à s’engager dans une querelle avec les capitalistes. Suivant ses propres termes: "si vous les poussez vers cet état d’amertume, d’obstination et de terreur dont les animaux domestiques, mal dirigés, sont capables, le fardeau de la nation ne sera pas amené à bon port ; et l’opinion publique finira par se tourner de leur côté."
Concevoir les dirigeants d’entreprises comme des « animaux domestiques » qui portent le « fardeau de la nation » et qu’il faut « dresser » pour qu’ils « obéissent » au Président n’est certainement pas une vision des choses compatible avec le capitalisme. Elle n’est pas applicable au socialisme réel, puisqu’il n’y a pas de capitalistes dans une république socialiste. C’est une conception qui exprime l’essence du fascisme économique, de la relation entre les entreprises et les hommes de l’Etat quand cet Etat est fasciste.
Peu importe le camouflage verbal, c’est cela que veulent dire aujourd’hui toutes les variantes du capitalisme « transformé » (ou « modifié », ou « modernisé » ou encore « humanisé »). Dans chacune de ces doctrines, « humaniser » consiste à transformer en bêtes de somme certains membres de la société — ceux qui sont les plus productifs. La formule grâce à laquelle on entend circonvenir, puis mater les animaux du sacrifice, on l’entend répéter aujourd’hui avec une insistance et une fréquence croissantes : les capitalistes, dit-on, devraient considérer les hommes de l’Etat non comme des ennemis, mais comme des « associés ». L’idée d’une « association » entre un groupe privé et des personnages publics, entre l’entreprise et l’administration, entre l’activité productive et l’emploi de la force, est une corruption sémantique (un « anti-concept ») typique d’une idéologie fasciste — d’une idéologie qui considère la violence comme l’élément fondamental et l’arbitre de dernier ressort de toutes les relations humaines. Cette prétendue « association » est un euphémisme indécent pour « ordres donnés par les hommes de l’Etat ». Il ne peut exister aucune « association » entre des bureaucrates qui ont les armes et des citoyens privés sans défense qui n’ont d’autre choix que d’obéir. Quelles seraient vos chances face à un « associé » dont les énoncés arbitraires auront force de loi, qui pourra vous accorder une audience (si votre groupe de pression est suffisamment grand), mais qui fera le jeu de ses favoris et trahira vos intérêts, qui aura toujours le dernier mot, ayant légalement le « droit » de vous l’imposer au bout du fusil, parce que votre propriété, votre avenir, votre vie, il les tient en son pouvoir ? Est-ce cela que l’on entend par « association » ?
Mais il y a des gens pour trouver cette perspective-là séduisante ; il y en a parmi les hommes d’affaires comme dans n’importe quel groupe ou profession : les hommes qui craignent la concurrence du marché libre et qui accueilleraient volontiers un « associé » qui aurait des armes pour extorquer en leur faveur des avantages particuliers contre leurs concurrents plus capables ; des hommes qui désirent s’élever, non par le mérite mais par la protection, et qui sont prêts à vivre non en vertu du droit mais de la faveur arbitraire. Parmi les entrepreneurs, c’est ce type de mentalité qui fut responsable du vote des lois antitrust, et qui les soutient encore aujourd’hui.
A l’occasion de cette élection, un nombre substantiel de chefs d’entreprise Républicains étaient passés du côté de M. Johnson. Voici quelques intéressantes observations sur le sujet, à partir d’une enquête du New York Times (16 septembre 1964) :
"Des entretiens menés dans cinq villes du nord-est industriel révèlent des différences frappantes dans les opinions politiques entre les dirigeants des grandes sociétés et ceux qui s’occupent d’entreprises plus petites … les dirigeants d’entreprise qui s’apprêtent à voter pour un candidat Démocrate pour la première fois de leur vie sont presque tous affiliés à de grandes entreprises. Il y a plus de soutien pour le Président parmi les cadres d’entreprise qui ont entre 40 et 50 ans que parmi ceux qui sont plus âgés ou plus jeunes. Nombre de chefs d’entreprise affirment qu’ils trouvent relativement peu de gens qui passent du côté de Johnson chez les cadres plus jeunes… "Les entretiens avec les trentenaires le confirment… les jeunes cadres parlent eux-mêmes fièrement de leur génération comme celle qui a interrompu et inversé la tendance à ce qu’il y ait plus de socialisme chez les plus jeunes… c’est sur la question des déficits publics que le clivage apparaît le plus spectaculaire entre les chefs de petites et de grandes entreprises. Les dirigeants des grandes sociétés ont une bien plus grande tendance à accepter l’idée que les déficits budgétaires sont quelquefois nécessaires voire désirables. Le chef de PME typique, en revanche, réserve un mépris tout particulier à cette manière de dépenser…"
Voilà qui nous donne une idée de qui sont ceux qui ont intérêt à une économie interventionniste — et de ce qu’une telle économie fait à ceux qui débutent ou qui sont jeunes.
Un aspect essentiel de la mentalité socialisante est le désir d’oblitérer la différence entre ce qu’on a gagné et ce qu’on n’a pas gagné et, par conséquent, d’empêcher toute différenciation entre les Hank Rearden et les Orren Boyle.
Pour la mentalité d’un primitif, d’un socialiste, incapable d’abstraction, ne voyant pas plus loin que le bout de son nez, une mentalité qui hurle pour qu’on « redistribue la richesse » sans se soucier en rien de l’origine de celle-ci — l’ennemi est quiconque se trouve être riche, quelle que soit l’origine de ses possessions. Ces cervelles-là, ces soi-disant liberaux grisonnants, vieillissants, qui avaient été les « idéalistes » des années 30, s’accrochent désespérément à l’illusion que nous nous dirigerions vers une espèce d’état socialiste hostile aux riches et favorable aux pauvres — tout en refusant frénétiquement de voir quel est le genre de riches qui se font détruire et lesquels sont ceux qui prospèrent dans le système qu’eux-mêmes, les soi-disant liberaux (liberals), ont institué.
De cette farce atroce, ce sont eux les dindons : ce dont leurs prétendus « idéaux » ont fait le lit, ce n’est pas le socialisme mais le fascisme. Le profiteur de tous leurs efforts n’est pas le « petit » personnage désespérément, stupidement vertueux de leur imagination aux pieds plats, de leurs fictions défraîchies : c’est le pire spécimen de ploutocrate prédateur, l’enrichi-par-la-force, le riche-par-privilège-politique, le type qui n’a aucune chance dans le véritable capitalisme, mais qui est toujours là pour ramasser la mise à chaque expérience socialiste « désintéressée ».
Ce sont les créateurs de la richesse, les Hank Rearden, qui sont détruits par toute forme d’étatisme : socialiste, communiste, ou fasciste. Ce sont les parasites, les Orren Boyle, qui sont ‘l’élite » privilégiée et les receleurs de l’interventionnisme, particulièrement du fascisme.
(Les accapareurs particuliers du socialisme sont les James Taggart, ceux du communisme les Floyd Ferris). La même chose est vraie de leurs équivalents moraux parmi les pauvres, et à tous les échelons intermédiaires de la société.
La forme particulière d’organisation économique qui devient de plus en plus apparente dans ce pays, comme une excroissance du pouvoir des groupes de pression, est l’une des pires variantes de l’étatisme : le socialisme corporatiste.
Le corporatisme forcé vole leur avenir aux talents les plus jeunes, emprisonnant les hommes dans des castes professionnelles soumises à des règles rigides. Il incarne impudemment les raisons d’agir fondamentales de la plupart des étatistes, quoi qu’ils préfèrent généralement ne pas les avouer : l’institutionnalisation, la protection des médiocres contre des concurrents plus capables, la mise aux fers des êtres supérieurs pour les forcer à rejoindre la médiocre moyenne de leur profession.
Cette théorie n’est pas trop populaire parmi les socialistes (quoi qu’elle y ait ses partisans) mais l’exemple le plus fameux de sa pratique sur une grande échelle était l’Italie fasciste.
Dans les années 1930, un petit nombre de gens perspicaces avaient dit que le New Deal de Roosevelt était une forme de socialisme corporatiste, et qu’il était plus proche du système de Mussolini que de n’importe quel autre. On n’en a pas tenu compte. Aujourd’hui, l’évidence ne peut tromper.
On a dit aussi que si le fascisme arrivait jamais aux Etats-Unis, c’est en socialisme qu’il viendrait déguisé. Dans ce contexte, je vous recommande de lire ou de relire It Can’t Happen Here de Sinclair Lewis avec un rappel particulier du personnage de Berzelius Windrip, le dirigeant fasciste.
Maintenant permettez-moi de mentionner, pour y répondre, quelques-unes des objections standard par lesquelles les sociaux-démocrates d’aujourd’hui tentent de camoufler (pour le différencier du fascisme) la nature du système qu’ils défendent.
Le fascisme exige le parti unique. A quoi revient en pratique la notion de "gouvernement par le consensus" ? Le but du fascisme est la conquête du monde. Quel est le but de ces champions des Nations Unies avec leur pensée globaliste "au-dessus des partis" ? Le fascisme prône le racisme. Pas nécessairement. L’Allemagne de Hitler le faisait ; pas l’Italie de Mussolini. Le fascisme est contre la politique sociale. Apprenez de quoi vous parlez et retournez à vos livres d’histoire. Le père et le concepteur de l’Etat-providence, l’homme qui a mis en pratique l’idée d’acheter la loyauté de certains groupes avec de l’argent extorqué à d’autres, c’était Bismarck — l’ancêtre politique de Hitler. Permettez-moi de vous rappeler que le titre complet du parti "Nazi" était : le Parti Ouvrier Allemand National Socialiste. Permettez-moi aussi de vous rappeler quelques extraits du programme politique de ce parti, adopté à Munich le 24 février 1920 : "Nous demandons que l’Etat assume avant tout l’obligation de fournir à tous les citoyens une possibilité suffisante de trouver un emploi et de gagner sa vie. "Les activités de l’individu ne doivent pas pouvoir s’opposer aux intérêts de la communauté, mais s’accomplir dans leur cadre et en vue du bien de tous. Par conséquent, nous exigeons : … qu’il soit mis fin au pouvoir des intérêts financiers. "Nous exigeons le partage des bénéfices de la grande entreprise. "Nous exigeons un vaste développement des soins pour les personnes âgées. "Nous exigeons… la plus large prise en compte de la petite entreprise dans les achats des administrations nationales, régionales et municipales. "Pour permettre à tout [citoyen] capable et travailleur d’accéder à l’enseignement supérieur et d’atteindre de la sorte un poste de direction, l’Etat doit assurer une extension générale de tout notre système d’enseignement public… nous exigeons la formation aux frais de l’Etat des enfants doués dont les parents sont pauvres… "L’Etat doit se charger d’améliorer la santé publique — en protégeant la mère et l’enfant, en interdisant le travail des enfants… par le plus grand soutien possible aux clubs attachés à l’éducation physique de la jeunesse. "[Nous] combattons l’esprit matérialiste en nous-mêmes et en-dehors de nous, et sommes convaincus qu’une guérison permanente de notre peuple ne peut venir que de l’intérieur à partir du principe du Bien commun avant le bien individuel"
Il y a cependant une différence unique entre le type de fascisme vers lequel nous dérivons, et celui qui a ravagé les sociétés européennes : notre fascisme à nous n’est pas de type militant. Ce n’est pas un mouvement organisé de démagogues à la voix de fausset, de gangsters dégoulinants de sang, d’intellectuels de troisième ordre en proie à l’hystérie, et de délinquants juvéniles.
Notre fascisme à nous est un fascisme fatigué, usé, cynique, un fascisme par défaut, arrivant non comme un désastre flamboyant mais comme l’effondrement silencieux d’un organisme léthargique lentement rongé par la corruption interne.
Etait-il fatal que cela arrive ? Non. Peut-on encore l’empêcher ? Oui. Si vous doutiez du pouvoir qu’a la philosophie de fixer le cours et de façonner la destinée des sociétés humaines, observez que notre économie mixte est au sens littéral du terme le produit, fidèlement réalisé, du pragmatisme — et de la génération élevée sous son influence. Le pragmatisme est la philosophie qui prétend qu’il n’y aurait pas de vérités permanentes, pas d’abstractions valides, pas de concepts solides, et qu’on pourrait tout essayer à vue de nez, que l’objectivité consisterait en un subjectivisme collectif, que tout ce que les gens souhaitent déclarer vrai le serait effectivement — à condition qu’un consensus l’ait approuvé.
Si vous voulez empêcher un désastre ultime, c’est cette manière-là de « penser » — Toutes ces propositions et chacune d’entre elles — que vous devez examiner, comprendre et rejeter. Alors vous aurez compris ce qui lie la philosophie à la politique et aux événements de votre vie quotidienne. Alors vous aurez compris qu’il n’y a pas de société qui soit meilleure que ses fondations philosophiques. Et alors — pour paraphraser John Galt : vous serez prêt non pas à revenir au capitalisme, mais à le découvrir !
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